Enfin partis de Caleta Victoria, nous continuons notre progression vers le nord. Aujourd’hui, la météo n’est pas clémente. Le vent qui se canalise dans les canaux vient à contre, comme d’habitude, mais il est doublé d’une grosse pluie qui donne une coloration sinistre aux paysages que nous traversons. De part et d’autre du Paso Farquhar, le terrain accidenté fait de roche claire et de bois enténébrés n’apparaît que de loin en loin, vite confondu dans l’épais brouillard qui s’est emparé de notre Patagonie. Je suis les indications de Mariolina Rolfo et Giorgio Ardizzi, les deux Italiens qui ont écrit le guide nautique de référence sur la Patagonie : leurs mots me guident vers la Caleta Bernard, qu’eux-mêmes ont découverte et nommée en hommage à Bernard Moitessier. Nous n’aurons navigué que 4 heures et parcouru 20 milles nautiques, mais qu’importe : notre longue route, elle, peut bien se fragmenter en une infinité d’escales. Le « vagabond des mers du sud » n’est jamais venu ici, pas plus que Darwin d’ailleurs, qui, il y a deux cents ans, filait 6 nœuds au large de la Patagonie pour remonter jusqu’à Chiloé. Mais les aventures qu’ils ont vécues continuent aujourd’hui d’exercer une telle fascination qu’ils mettent en mouvement bien des vocations. Ainsi vont ceux qui parcourent les mers, tous pétris des routes du passé, lues à travers les siècles ou écoutées sur les pontons ou à la VHF. Derrière chaque marin, il y en a mille autres : c’est le grand jeu des océans où chaque sillage se rajoute au précédent, sans jamais l’effacer pour autant.